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Comme d’habitude, c’était les premiers rayons du soleil qui avaient réveillé Lemba en lui caressant le dos. Elle s’était étirée minutieusement puis avait bondi sur ses pattes, les muscles électrisés, avant de se rendre dans les cavernes de son Clan. Elle espérait avoir une mission aujourd’hui ; elle espérait pouvoir se rendre utile à son Clan un jour de plus, et en profiter pour bien se dépenser. Ah, quelle belle journée ç’aurait été ! Mais non. Aucune mission. Aucun message à délivrer, et Lemba avait suffisamment (et surtout suffisamment lourdement) insisté pour en être certaine. Aucun dragon, aucune dragonne n’avait quoi que ce soit à lui faire transmettre.

Pfff ! Quel ENNUI… Qu’est-ce que je vais faire de ma journée moi maintenant ?

Dépitée, la dragonne avait déployé ses grandes ailes et s’était envolée, juste sous le mufle de son dernier refus, qui se prit la queue de Lemba dans la figure lorsque celle-ci décolla. Cependant, elle n’y prêta aucune attention, l’esprit absorbé par ses réflexions.

Je pourrais aller explorer… Mais explorer quoi ? Pfft ! Je connais déjà tous les territoires par cœur ! Mais peut-être que quelque chose a changé depuis hier ! C'est parti pour l'EXPLORATION !!

Les oreilles dressées par l'excitation, la messagère avait déjà quitté les souterrains, et s’était élevée au-dessus des nuages. Son regard se perdait dans le lointain, et elle savait que son cerveau mettait des noms précis sur tout ce qu’elle voyait. Là-bas, les bois où Lemba adorait trifouiller le sol pour y trouver des feuilles mortes à ajouter à ses assemblages absurdes ; oh, et là, la silhouette fleurie du Zsaï, que Lemba avait toujours trouvé trop rose pour être honnête ; au sud, les marécages nauséabonds des Kivulis… Lemba poussa un profond soupir contrarié.

C’est vraiment pas drôle d’avoir un aussi bon sens de l’orientation !

Elle fouetta l’air de sa longue queue effilée, effrayant au passage une nuée de volatiles qui s’éparpilla en braillant, tandis qu'un sourire naissait de nouveau sur ses babines.

Bah, mieux vaut ça que de se perdre dans sa propre tanière !

Elle vira de l’aile afin de s’éloigner du territoire Kivuli ; elle se dirigeait à présent vers les territoires frontaliers. Cette étendue de plage n’appartenait à personne, et si Lemba appréciait la chaleur du sable, elle HAÏSSAIT l’odeur salée de l’océan et les algues putrides qui couvraient le sol.
Soudain, son regard se fixa sur un point dans le lointain.

J'avais raison !! Quelque chose A changé !!

Près du tunnel, elle distinguait une drôle de forme, qu’elle n’avait jamais vue auparavant.

YOUPI !!

D’un puissant coup d’ailes, la dragonne accéléra, ravie.

Je me demande ce que je vais découvrir ! Peut-être une nouvelle statue ? Qu’est-ce qu’elle pourrait bien représenter, celle-là ? Un rocher ? Pff, qui voudrait représenter une statue de rocher ? Ce serait complètement idiot ! Peut-être un arbre alors ? Hmmm non plus… Pourquoi pas…

Lemba interrompit soudain le flux de ses pensées en reconnaissant la forme qui se tenait là.

….un DRAGON ?

Elle battit plus doucement des ailes pour ralentir tandis qu’elle le contournait depuis le ciel afin de mieux l’observer. Elle était haut au-dessus de ce dragon ou de cette dragonne, et n’apercevait pas de détails, mais elle pouvait apercevoir ses écailles, frappées par le soleil, d’un joli camaïeu flamboyant. Elle était sûre de ne les avoir jamais vues auparavant.

Une nouvelle TÊTE ! Je me demande qui c’est !

Elle entama la descente vers l’inconnu. Le vent lui apporta l’odeur musquée d’un mâle Sethemba.

Il est drôlement grand !

En effet, le dragon faisait une ou deux bonnes têtes de plus qu’elle, et était bien plus robuste. Il se tenait fièrement dressé sur la plage, les ailes bien droites. Elle voulut croiser son regard, mais elle remarqua alors qu’il semblait perdu dans ses pensées, comme absorbé par l’intérieur du Tunnel. Lemba avait déjà essayé de l'explorer, mais elle avait DÉTESTÉ et était sortie bien vite. Premièrement, il y faisait sombre et les pierres étaient froides. Deuxièmement, elle avait bien failli s’y perdre, ce qui ne lui arrivait JAMAIS. Troisièmement, elle préférait largement rester planer au-dessus des nuages que d’aller se coincer sous terre comme un ver craintif ! En tout cas, vu le regard pensif du grand dragon, il avait sûrement repéré quelque chose de TRÈS INTÉRESSANT dans ce tunnel.

Je veux savoir !!

Sans s'encombrer de discrétion, elle atterrit sur la plage en projetant du sable partout, tout excitée qu’elle était. Ignorant les grains de sable qui vinrent se coincer entre ses écailles et dans sa crinière, elle bondit près du dragon inconnu et, la queue battant joyeusement l’air (et balançant davantage de sable partout), lança d’un ton curieux et enthousiaste :

« Qu’est-ce que tu regardes ? »

Le grand dragon poussa un léger grondement agacé ; Lemba n’y prêta pas grande attention : les yeux plissés, elle examinait du regard l’intérieur du tunnel, tentant de comprendre ce que le Sethemba avait pu y voir. Un léger courant d'air lui parvenait depuis l'entrée, amenant jusqu'à ses narines un fumet minéral et ancien, un peu comme un ancien parchemin qui aurait la senteur des pierres froides. L’excitation et la curiosité lui donnaient envie de courir partout, mais elle voulait entendre la réponse du mâle, aussi “contint”-elle ses pulsions en sautillant sur place. Le grand dragon prit finalement la parole d’un ton calme :

« Je suis à la recherche de notre prochain plan d'attaque pour envahir les Udaras par les tunnels. Et vous, qu'est-ce qui vous amène ? »

La femelle dressa ses petites oreilles à l’entente de cette réponse, et ne put s’empêcher de frétiller de la queue. Elle se tourna (ou plutôt leva la tête) vers le dragon et, les yeux toujours plissés, soutint son regard.

Il est SÉRIEUX ?

Constatant la lueur calme et froide qui luisait dans les prunelles turquoises du mâle, elle se détourna et regarda à nouveau le tunnel, l’air ébahi, avant d'éclater de rire :

« Je ne savais pas qu’on pouvait trouver des plans d’attaque dans des vieux labyrinthes ! En tout cas, je n’en ai jamais trouvé, moi ! Mais je ne l’ai pas beaucoup exploré, ce tunnel, faut dire. C’est bien trop… LABYRINTHIQUE à mon goût. »

Elle étira un peu ses ailes, effleurant au passage les flancs du mâle, puis fit quelques pas avec le regard fixé sur l’horizon. Elle pouvait voir quelques nuages s’amonceler, à des kilomètres et des kilomètres de là. Elle se demanda un instant si une tempête approchait, et si elle pourrait voir les éclairs. Elle poursuivit sans laisser le temps à son interlocuteur de répliquer :

« Le ciel est bien plus amusant à explorer, quoique bien plus ENCOMBRÉ par moments. Les oiseaux ne savent vraiment pas voler correctement. »

Lemba se gratta distraitement le flanc de sa patte arrière, tout en songeant qu’elle mangerait bien un oiseau rôti. Dommage qu’elle ne puisse pas cracher de feu, sinon elle en aurait attrapé un tout de suite pour le dévorer. Ah, ce qu’elle avait FAIM ! Elle jeta un coup d’oeil au mâle, puis une idée lui vint et elle se retourna vers lui d’un bond excité.

« Mais dis, tu sais pas cracher du feu, toi ? Je me mangerais bien un oiseau rôti. En plus, vu la couleur de tes écailles, ça serait plutôt ironique que tu ne puisses pas cracher du feu. Mais ce ne serait pas grave, hein ! Chacun ses petits défauts. »

La jeune dragonne fixait le grand dragon Sethemba, une étincelle d'espoir dans le regard, tandis qu'un gargouillement sonore s'échappait de son estomac.

Le grand dragon poussa un grondement dédaigneux et répondit en plissant les yeux, l’air profondément agacé :

« C'est bon t'as fini ? Tu parles beaucoup trop pour rien dire. »

Lemba eut un mouvement de recul, comme si une guêpe l’avait piquée. Elle retroussa légèrement la lèvre supérieure, montrant subrepticement ses crocs. La remarque avait été très vexante. Alors oui, bien sûr, on lui avait souvent dit qu’elle était une pipelette, mais au moins les autres dragons n’étaient pas des espèces de Sethembas crétins et pompeux.

Non mais il se prend pour QUI celui-là ?!

Elle fit alors un pas en avant pour aller se planter bien en face du gros dragon désagréable. Fouettant l’air de sa queue, elle déploya un peu ses ailes pour se donner un air plus menaçant et intimidant. Leurs museaux étaient à quelques centimètres à peine l’un de l’autre tandis qu’elle commençait à lâcher d’une traite, d’un ton furieux :

« Et TOI alors, Monsieur-je-sais-pas-faire-la-conversation-normalement ? C’est les Sethembas qui n’ont aucun sens de la courtoisie ou c’est juste toi ? Tu CROIS que parce que t’es grand et baraqué, ça te donne le droit d’être condescendant et odieux ? Alors OUI, je parle, mais moi au moins j’essaie d’être sympa ! Ah bah SUPER, ça m’apprendra à essayer de me socialiser ! Mais faut croire que t’es trop COINCÉ ou trop PRÉTENTIEUX pour vouloir ne serait-ce qu’être un peu aimable ! »

Sur cette tirade, elle resta plantée là à dévisager le grand dragon en fouettant l'air de la queue. Elle se permit même de lui souffler dessus par les naseaux, afin de bien appuyer le fait qu’elle n’était PAS CONTENTE DU TOUT.
Qu'allait-il bien lui répondre ? Elle espérait qu'il se rendrait compte de son insupportabilité et qu'il se montrerait un peu plus poli à l'avenir ; c'est vrai quoi, elle n'avait rien fait de mal et lui se permettait d'être une espèce de gros dragon hargneux ! Elle était prête à repartir sur de bonnes bases (quoi qu'elle était persuadée d'avoir été parfaitement cordiale), mais si ce malotru n'y mettait pas un peu du sien, elle partirait VITE FAIT BIEN FAIT et le laisserait là à brasser du sable ! NON MAIS !